Une civilisation oubliée au coeur de la Turquie…

Connaissez-vous les Hittites? Une civilisation oubliée qui a pourtant régné sur l’actuelle Turquie et au-delà pendant l’Antiquité. Un empire Hittite qui rivalisait avec l’Egypte des Pharaons et Babylone. Un peuple ingénieux et créatif dont l’héritage s’est subtilement transmis jusqu’à nos jours.

Avant de vous emmener prochainement visiter la capitale Hittite de Hattusa, au coeur de l’Anatolie, je vous éclaire sur la civilisation Hittite en répondant à 5 questions clés. Et avec ça, je vous assure que vous allez briller en soirée 😉

Qui étaient les Hittites?

L’histoire de l’empire Hittite s’étale sur 5 siècles au cours du deuxième millénaire avant notre ère (environ de 1750 à 1200 av JC), soit il y a près de 4 000 ans! Les Hittites formaient alors le premier empire de l’Asie Mineure. Une civilisation au moins aussi glorieuse que l’Egypte Antique. Mais à la différence de cette dernière, les Hittites s’éteignent soudainement, sans trop laisser de traces… (quand même suffisamment pour que je vous en parle!)

Bien que ce peuple soit cité dans la Bible, on n’en connaissait donc à peu près rien jusqu’au 19ème siècle. Ce n’est qu’en 1834, que l’explorateur français Charles Texier redécouvre le site de Hattusa, l’ancienne capitale Hittite, ainsi que les sites voisins de Yazılıkaya et Alaca Höyük. Mais les premières études fouillées n’ont vraiment commencé qu’après 1890.

Au cours du IIème millénaire avant JC, l’Anatolie est occupée par de nombreux petits royaumes, des cités-états, qui passent leur temps à guerroyer. Un peuple venu probablement des Balkans ou du Caucase met un terme à ce raffut en soumettant tout ce petit monde, dont ceux de la région du Hatti au centre de l’Anatolie. Ils prennent alors le nom de « Peuple du Hatti » ou « Hittites » en hommage à leurs adversaires vaincus.

dieu de la guerre, Porte du Roi de Hattusa, capitale Hittite, haut relief
dieu de la guerre, Porte du Roi de Hattusa

Leur première capitale est établie à Kanesh, l’actuelle Kültepe proche de Kayseri, aux portes donc de la Cappadoce. Mais cela ne dure pas. Cette première dynastie s’éteint rapidement, pour mieux renaître, avec comme capitale cette fois-ci, Hattusa. C’est alors que la grande histoire Hittite débute véritablement, sous Hattusili Ier vers 1600 avant JC.

Au cours des prochains siècles, le territoire Hittite va connaître une série de flux et de reflux, en fonction de la bravoure et de la mal-chance qui afflige ses souverains.


Qui étaient les grands rois et reines Hittites ?

Je ne pouvais résister à l’envie de vous présenter les quelques grands rois (et reine) qui ont marqué l’histoire Hittite. Complètement méconnus, ils méritent une petite mise en lumière. Ne serait-ce que parce que leurs noms sont rigolos 😉

Hattusili Ier, le fondateur du royaume Hittite

Hattusili Ier est le premier grand Roi qui unifie les différentes cités-états Hittites d’Anatolie, vers 1600 av.JC. (Un peu à l’image de Vercingetorix avec les villages gaulois!). C’est pourquoi il est considéré comme le fondateur du royaume Hittite.

Il établit la capitale Hittite à Hattusa et prend le nom de Hattusili, qui signifie Homme de Hattusa.

C’est un roi guerrier qui étend le territoire du jeune royaume Hittite jusqu’aux portes de la Syrie. Il n’échoue que devant les remparts de la ville d’Alep.

Très fier de lui, Hattusili Ier se dresse une image quasi divine, conférant une légitimité à son règne. Il n’hésite pas à se comparer à un lion, symbole de puissance. Fâché avec son fils qui complotait contre lui, c’est à son petit-fils qu’il confie le trône lorsqu’il s’éteint.

Mursili Ier, le digne successeur

Petit-fils et successeur de Hattusili Ier, Mursili Ier fait tomber Alep et pousse l’expansion Hittite jusqu’à Babylone qu’il met à sac (1595 av.JC). Il soumet ainsi les 2 plus grands royaumes du Proche-Orient!

Les Hittites ne prennent pas Babylone, mais en font un vassal (en ramassant le butin au passage!). Ce faisant, les Hittites incorporent la culture du vaincu plutôt que de chercher à imposer la leur. C’est ainsi que les Hittites créent un véritable empire, riche de sa diversité, et non pas un simple royaume uniforme.

Mais au retour de Babylone, Mursili est assassiné par son beau-frère et les Hittites entrent dans une période de chaos qui dure environ 65 ans. Meurtres et usurpation du trône se succèdent alors que le territoire Hittite se réduit à peau de chagrin… jusqu’à l’ascension de Télepinu.

Télepinu, le législateur

Lorsque Télepinu s’empare – par la force – du trône Hittite (en 1525 av.JC), sa femme et son fils sont rapidement assassinés, afin de réduire toutes ses chances de descendance. Les coupables sont arrêtés. Télepinu dans sa grande clémence se contente d’un bannissement afin de mettre fin à cette période d’instabilité.

Il établit alors des règles de succession au trône pour restaurer la paix et l’unité du royaume Hittite. Il met en place une « Assemblée » qui est légitime pour valider ou récuser l’accession au trône d’un successeur désigné par le roi. Celui-ci pouvant d’ailleurs être choisi en dehors de la famille royale. Le peuple a la possibilité de se saisir de cette Assemblée pour faire juger un souverain, jusqu’à une condamnation à mort (dans le pire des cas!). Les Hittites auraient donc, bien avant les Grecs, établi les prémices d’une démocratie!

Télepinu légifère d’ailleurs sur beaucoup de choses. Ce qui permet aux Hittites de disposer d’un code civile très stricte, qui confère l‘égalité entre tous ses citoyens. Ses lois – que l’on pourrait qualifier de progressistes – mettent l’accent sur les mesures compensatoires plutôt que sur les sanctions. On a même retrouvé des jugements de divorces!

Après Télépinu, les Hittites vont connaître un siècle relativement pacifique. Mais aux frontières de l’empire les ennemies ne manquent pas. Au Sud-Est, les Egyptiens; à l’Est, le nouveau royaume du Mittani; au nord les agaçantes tribus Gasgas. Les Hittites sont menacés de toute part, jusqu’au coeur de leur territoire.

Finalement, les Gasgas attaquent Hattusa et sa population est décimée. La capitale doit être momentanément abandonnée. En quelques années seulement, les Hittites perdent la majeure partie de leur territoire. Au bord de la disparition totale, l’empire va à nouveau renaître de ses cendres, mais pour cela il faudra attendre l’arrivée de Suppiluliuma.

Suppiluliuma Ier, le plus grand monarque Hittite

Suppiluliuma est le plus jeune fils du Roi Tudhaliya II. Nommé général, il s’avère être aussi bon guerrier que fin politicien. Par la force ou par les traités, il réussit l’exploit de reconquérir tout le territoire perdu des Hittites.

Toutefois, son père, sur son lit de mort, désignera le frère aîné de Suppiluliuma comme successeur. « C’est pô juste » se dit-il. Aussi, il enfreint le fameux traité de succession établi par Télepinu et assassine son frère pour s’emparer du trône (en 1344 av.JC).

En moins d’un an, Suppiluliuma poursuit sa reconquête à l’Est jusqu’au Liban et au Nord jusqu’aux rives de la Mer Noire. Les Hittites s’imposent comme de redoutables combattants!

Ils assiègent la capitale du Mittani et infligent de grosses défaites à ce royaume qui ne s’en remettra pas. Les anciens vassaux du Mittani passent sous le giron des Hittites qui deviennent ainsi frontaliers des Egyptiens.

Pour consolider son pouvoir et ses relations avec Babylone, Suppiluliuma répudie son épouse pour se marier avec la fille du Roi Babylonien.

Puis (vers 1324 av.JC), il reçoit une proposition de la Reine d’Egypte, la jeune veuve de Toutânkhamon. Celle-ci n’ayant pas eu le temps d’avoir un enfant, lui propose de prendre pour époux l’un des fils de Suppiluliuma, scellant ainsi une alliance inédite entre Hittites et Egyptiens. Surpris par cette offre fort alléchante, le souverain Hittite se méfie… Mais il finit par accepter et envoie son fils en Egypte. Ce mariage doit faire du fils de Suppiluliuma le nouveau Pharaon d’Egypte!

Malheureusement pour lui, à l’approche de la frontière égyptienne, le prince Hittite est assassiné. Etait-ce un coup monté de la Reine? ou du jeune rival qui s’est emparé du trône d’Egypte ensuite? Le mystère demeure. Toujours est-il que Suppiluliuma entre dans une grosse colère et envoie ses armées chatouiller les territoires égyptiens!

De ses attaques victorieuses, il rapporte jusqu’à Hattusa de nombreux prisonniers égyptiens. Mais se faisant, il déclenche un drame terrible pour le peuple Hittite. Car ces esclaves égyptiens apportent avec eux au cœur du territoire Hittite … La PESTE!

L’épidémie de peste se propage rapidement à Hattusa et dans l’empire, emportant dans la tombe une grande partie de la population Hittite. Le Roi Suppiluliuma lui-même décède de la peste. Ainsi que dans la foulée, son fils aîné qui lui a succédé. Une fois encore, les Hittites plongent dans un âge sombre

Mursili II, le courageux…

Mursili II est le plus jeune fils de Suppiluliuma. Il monte sur le trône en 1321 av.JC, alors qu’il est encore très jeune, et dans un contexte difficile. La peste ravage l’empire et cela durera les deux décennies à venir. Les récoltes insuffisantes ajoutent à la maladie la famine.

Mursili se tourne vers les Dieux, persuadé que la malédiction qui les frappe a été causée par Suppiluliuma lorsqu’il a brisé le traité de succession de Télépinu (moralité : faut pas tuer son frère, c’est pas bien!).

Son épouse bien-aimée décède elle-aussi de la maladie. Le Roi est dévasté. Il accuse sa belle-mère, la Reine Babylonienne d’avoir pratiqué la magie noire contre sa femme. Il la fera bannir.

Malgré toutes les tragédies de son règne, le Roi Mursili II réussit à maintenir l’empire à flot et à protéger ses frontières. Mais à l’Est, apparaissent maintenant un nouvel ennemie redoutable, les Assyriens

(Pour la petite histoire, Suppiluliuma et Mursili II ont inspiré un manga japonais appelé Red River ou Anatolia story!)

Hattusili III et Puduhepa, le couple glamour

Hattusili III est le petit-fils de Mursili II. C’est aussi le jeune frère du Roi Muwatalli, qui lui a succédé. Ce prince occupe la fonction de grand prêtre, mais c’est en tant que Général, qu’il est envoyé pour contrer l’armée du jeune Pharaon Ramsès II à Qadesh, dans l’actuel Liban.

Cette bataille mythique de Qadesh marquera le règne de Ramses II, qui en rapporte une version officielle à sa gloire. Toutefois, on sait aujourd’hui que les égyptiens n’ont pas emporté la victoire. La bataille s’est soldée par un statut quo alors que les troupes du général Hittite avaient pris le dessus sur l’armée de Ramsès II. (J’ai déjà eu l’occasion de vous détailler tout ça dans mon article sur le musée archéologique d’Istanbul, où l’on peut admirer le fameux Traité de Qadesh).

Sur le chemin du retour, Hattusili fait la rencontre d’une jeune femme, Puduhepa, prêtresse et fille de prêtre d’origine hourrite. Le général aurait eu le coup de foudre pour cette jeune fille à la tête bien faite, qui devient son épouse, et plus tard la Reine la plus importante de toute l’Histoire Hittite!

Deux ans après la bataille de Qadesh, le roi Muwatalli II décède. Son fils, qui est donc le neveu de Hattusili lui succède. Roi de faible envergure, il voit son oncle Hattusili, auréolé de sa gloire sur les égyptiens, comme une menace pour son autorité. Il le fait donc nommer gouverneur d’une province éloignée, ce que celui-ci prend pour un affront. Hattusili viole alors le traité de succession de Télépinu, comme Supiluliuma en son temps, et s’empare du trône par la force. Le roi est exilé et Hattusili III devient le nouveau souverain Hittite.

Hattusili III et Puduhepa ont un règne glorieux marqué par la paix et la prospérité.

Puduhepa, reine et prêtresse, assume un rôle majeur dans la diplomatie des Hittites, notamment avec les Egyptiens. De nombreuses tablettes ont été retrouvées, d’une correspondance amicale avec la reine d’Egypte qu’elle appelle sa « soeur ». De même que Hattusili appèle Ramsès son « frère ». Ensemble, ils signent le fameux Traité de Paix de Qadesh en 1269 av.JC. Un traité historique, connu pour être le premier traité de paix de l’histoire et qui est exposé au musée archéologique d’Istanbul.

Ils renforcent leurs liens avec les Egyptiens en offrant deux de leurs filles en mariage à Ramsès II (une bonne idée de cadeaux!).

Lorsque Hattusili III meurt vers 1240 av.JC, Puduhepa lui fait aménager le sanctuaire de Yazılıkaya, tout près de Hattusa. Elle gardera une grande influence, en tant que Reine-Mère jusqu’à son décès à l’âge de 90 ans.

Roi Hittite Tudhaliya IV, fils de Hattusili III, sanctuaire de Yazilikaya, près de Hattusa, capitale Hittite
Tudhaliya IV, fils de Hattusili III, sanctuaire de Yazilikaya

Après la mort de Hattusili et de Puduhepa, l’empire périclite rapidement. En seulement 30 ans, la capitale Hattusa est abandonnée définitivement et sombre dans l’oubli. La raison de cette disparition n’est pas très claire, mais il semble que les Hittites aient subit des attaques des Peuples de la Mer, et qu’un incendie ait ravagé Hattusa.

Cette extraordinaire civilisation, survécut malgré tout à travers un peuple dit Neo-Hittite qui se maintient dans l’est de l’ancien empire. La culture Neo-Hittite s’exporte en Orient, bien qu’ils ne forment plus que des tribus parmi d’autres au coeur du nouveau grand empire Assyrien. C’est ainsi qu’on les retrouvera, cohabitant avec les autres peuples bibliques…


Qui étaient les 1000 dieux Hittites?

Les Hittites se désignaient eux-mêmes comme « le peuple aux mille dieux« . Ce sont des polythéistes, qui associent chaque élément de la nature à une divinité.

12 dieux Hittites du monde souterrain, en bas-relief à Yaziliyaka, chambre B
Les 12 dieux Hittites du monde souterrain, bas-relief, Yazilikaya

Les dieux sont représentés sous forme humaine le plus souvent. Mais on les trouve aussi sous une forme animale (des vases de cérémonie de forme animale, que l’on appelle rython), comme le cerf pour les divinités protectrices ou le lion pour les divinités guerrières.

Les Hittites ont cette particularité de toujours ajouter de nouveaux dieux à leur panthéon. Ils ont d’abord intégré tous les dieux du panthéon Hatti, auxquels ils ont apporté leurs propres dieux Hittites, ainsi que les dieux des territoires qu’ils ont successivement conquis, notamment ceux du panthéon Hourrite. Ajoutez à cela qu’un même dieu pouvait avoir différents noms selon les villes qui le vénéraient. Et vous avez une idée du casse-tête pour s’y retrouver!

Je me contenterai donc de vous parler des principaux dieux vénérés par les Hittites :

Les principaux dieux Hittites

Le couple phare qui est au sommet du panthéon Hittite, est le dieu de l’orage et la déesse du soleil.

  • Le dieu de l’orage : C’est aussi le Roi des Dieux. Il est appelé Taru (Hatti) ou Teshub (Hourrite). Il est représenté tenant un marteau et des éclairs. (un mix entre Thor et Zeus en quelques sortes!). Il peut également être représenté sous forme d’un taureau, symbole de fertilité. On le vénère notamment à Yazilikaya.
  • La déesse du soleil : Elle est appelée Hebat (Hourrite) ou Arinna (Hittite). Elle est représentée par le lion, comme la déesse Ishtar à Babylone. C’est l’épouse du dieu de l’orage.

Le Roi Hittite est considéré comme le fils adoptif de ce couple Divin, qui devient lui-même un Dieu au moment de sa mort.

Vases à libation en forme de taureau, symbolisant le dieu de l'orage Hittite, exposés au musée des civilisations Ankara, retrouvés à Hattusa, terre cuite, XV av. JC
Vases à libation en forme de taureau, symbolisant le dieu de l’orage, musée des civilisations Ankara

On peut également citer d’autres dieux marquants, comme le dieu agraire Telepinu, fils du dieu de l’orage et de la déesse du soleil. Il est le personnage central d’un mythe sur lequel je reviens dans un instant…

Les rituels Hittites

Tous ces dieux Hittites sont capricieux, et doivent être chouchoutés par les prêtres et le roi pour s’assurer de leur fidélité. Des rituels sont donc conduits dans des sanctuaires dédiés à chacune de ces divinités.

Dans ces sanctuaires les dieux étaient représentés par des effigies de forme humaine, recouvertes d’or. Elles étaient investies de l’âme de la divinité et étaient donc traitées comme des êtres vivants. Les prêtres et le couple royal étaient les seuls autorisés à pénétrer dans les sanctuaires. Ils ont la charge d’apporter les offrandes aux dieux et de réciter les prières.

prêtre Hittite conduisant des animaux - Alaca Höyük, près de Hattusa, capitale Hittite, haut relief, orthostase, XIV av. JC,
prêtre conduisant des animaux – Alaca Höyük

Lors des libations, le Roi boit dans une coupe où se trouve à l’intérieur une effigie du dieu, afin de boire l’âme du dieu. De même, il doit mordre dans du pain sensé représenter le corps du dieu, pour en récupérer sa puissance. Un rituel qui n’est pas sans rappeler celui de la « communion » dans la religion Chrétienne…

Le mythe du dieu fugueur Telepinu

A chaque conquête territoriale, les Hittites incorporent les nouvelles divinités plutôt que de les remplacer. Ainsi, ils ne prennent pas le risque de se mettre à dos les dieux de leurs ennemis! Au contraire, il augmentent leur force en s’adjoignant de nouveaux dieux.

A contrario, la plus grande crainte des Hittites était de voir leurs dieux se faire « capturer » ou tout simplement se faire la malle…. Car ceux-ci pouvaient tout à fait décider d‘aller voir ailleurs si les rituels étaient mal faits, s’ils étaient en colère contre le roi ou si les ennemies prenaient possession de leur temple. Et le départ d’un dieu engendrait toujours des catastrophes. C’est ce que nous raconte le mythe de Telepinu :

Revenons un instant sur le règne de Mursili II, qui commence en pleine épidémie de peste. Le roi interroge ses oracles et découvre que la cause du malheur vient du départ du dieu Telepinu.

Le dieu Telepinu était très fâché car le père de Mursili II, Supiluliuma, avait assassiné son frère pour usurper le trône. Pour faire revenir le dieu dans son temple et ainsi retrouver ses faveurs, Mursili lui adresse des prières. Celles-ci ont été gravées sur des tablettes d’argiles retrouvées à Hattusa :

« Telepinu, le vénérable, que tu sois parti au Ciel chez les dieux, ou bien à la mer ou à la montagne, ou encore que tu sois parti au pays ennemi pour une bataille, dès lors que le délicieux arôme, le parfum du cèdre et les fumées de la graisse t’appellent, allons, reviens dans ton temple. Je t’évoquerai sans cesse avec du pain et de la boisson sacrés. »

prière de Mursili II au dieu Telepinu

Une version très ancienne du « Reviens Léon, j’ai les mêmes à la maison!« .


Les Hittites dans la Bible ?

Les Hittites font partie de ce que les historiens appellent les Civilisations Oubliées. Car depuis longtemps, leurs traces s’étaient évaporées. Ce n’est qu’à partir des fouilles de Hattusa à la fin du 19ème siècle que l’on a commencé à reconstituer leur formidable histoire.

Toutefois, on connaissait l’existence de ce peuple Hittite à travers un livre largement répandu à travers le monde… La Bible! Le livre sacré des Chrétiens, en effet, mentionne assez largement ces Hittites, ou plutôt Héthiens, tels qu’ils y sont généralement mentionnés.

Selon la Bible, les Hittites sont des descendants de Noé (celui qui a construit la fameuse arche) et seraient des Cananéens. Leur territoire est donc situé dans la région de Canaan, c’est à dire vers le Liban/ la Palestine, entre la mer méditerranéenne et la Mer Morte. On sait aujourd’hui que leur empire à son apogée était bien plus vaste!

Abraham, dont la vie est racontée dans la Génèse, est le principal Patriarche de l’histoire commune des 3 religions du Livre (Judaïsme, Christianisme et Islam). Il arrive dans la Terre Promise à une époque où les Hittites étaient encore puissants et où leurs lois s’appliquaient. Abraham, comme tout bon contribuable, payait donc ses impôts au Roi Hittite!


Quelle langue parlaient les Hittites?

Les origines de la langue Hittite

En réalité, les Hittites ne parlaient pas 1 langue, mais au moins trois, voire quatre :

  • La langue du Hatti : Lorsque ce peuple venu d’Europe (Balkans ou Caucase) arrive en Anatolie pour soumettre les Hattis, ces derniers parlent une langue de type agglutinante, qui ne se rattache à aucune famille linguistique connue. La langue du Hatti s’éteint pour devenir langue morte, mais est tout de même conservée (ou ressuscitée) uniquement pour les rituels religieux. De même que les dieux du Hatti ont été assimilés dans le panthéon Hittite.
  • La langue Hittite (ou plus exactement Hittite-nésique) : Le peuple Hittite arrive donc en Anatolie avec sa propre langue, qui est d’origine indo-européenne. Étonnamment, elle montre plus de similitude avec le latin qu’avec les langues orientales! On observe par exemple que le mot « watar » en hittite se traduit par « water » en anglais, donc « eau » en français! Mais bien-sûr, dans son assimilation par les peuples anatoliens elle y acquiert une touche orientale.
  • La langue louvite : c’est une langue parlée par les Hittites du sud de l’Anatolie et d’influence plus orientale. C’est la seule qui survit après l’effondrement de l’empire Hittite et qui est probablement à l’origine du lycien. Mais c’est surtout la langue qui est utilisée pour les hiéroglyphes Hittites!
  • L’akkadien : C’est la langue diplomatique dans tout le Proche-Orient à cette époque. Et c’est bien pratique, car les textes bilingues Akkadien/Hittite ont été très utiles à leur déchiffrement…

L’écriture cunéiforme des Hittites

Les Hattis n’avaient pas de langue écrite. Il a fallu attendre les Hittites pour qu’apparaissent les premiers témoignages écrits de cette partie du monde.

L’écriture cunéiforme est inventée par les Babyloniens. Lorsqu’elle est adoptée par nos chers Hittites, leur langue devient la première langue d’origine européenne écrite! (C’est quand même pas rien!).

Et très franchement, chapeau à qui sait la lire car on dirait des petites pattes de mouches! L’écriture cunéiforme est réalisée par des scribes à l’aide de la pointe d’un roseau (dont la section forme un triangle), appliquée sur des tablettes d’argile meuble.

Traité de paix de Qadesh, signé entre Hittites et Egyptiens, écriture cunéiforme, musée archéologique d'Istanbul, tablette retrouvée à Hattusa, capitale Hittite
Traité de paix de Qadesh

On a retrouvé plus de 20 000 tablettes d’argile rien qu’à Hattusa, en écriture cunéiforme. En 1906, l’allemand Hugo Winkler fait la découverte de sa vie en mettant au jour le fameux traité de Qadesh! Ecrit en akkadien, il révèle que ces vestiges sont ceux du peuple Hittite mentionné dans la Bible et sur les murs des temples égyptiens. Mais la langue hittite reste alors indéchiffrable.

C’est un linguiste autrichien, Friedrich Hrozny, qui en 1915 réussit à en faire les premières traductions.

Les hiéroglyphes Hittites

Des hiéroglyphes Hittites ont été retrouvés sur tout le territoire de leur empire. Depuis la cité de Troie à l’ouest, jusqu’aux portes de l’Egypte.

hiéroglyphes Hittites, Hattusa, langue louvite
Hiéroglyphes Hittites

Ils sont toutefois utilisés assez tardivement, vers 1500 av.JC, pour traduire des écritures louvites (qui s’écrivaient aussi en cunéiforme). Les Hittites utilisent ces hiéroglyphes sur les constructions monumentales.

Hérodote, le célèbre historien grec antique (originaire d’Halicarnasse, donc de Bodrum) avait le premier mentionné ces hiéroglyphes, qu’il avait alors pris pour des hiéroglyphes égyptiens. Il n’y a pourtant aucun lien entre les signes hittites et égyptiens.

Leur traduction s’est donc avérée très complexe et ce n’est qu’au cours du 20ème siècle que les hiéroglyphes hittites ont pu être déchiffrés.

Le premier hiéroglyphe est déchiffré en 1876 : c’est le mot « ego » ou « moi » représenté par un buste de profil, bras plié devant lui.

En 1947, la découverte à Karatepe par les Allemands Bossert et Steinherr d’une stèle bilingue en hiéroglyphes hittites et alphabet phénicien permet enfin la plus grande avancée dans la transcription.


J’arrive ainsi à la fin de cet article un peu plus académique qu’à l’accoutumée. Mais je ne pouvais me contenter de balayer d’un trait ces 5 siècles d’une civilisation injustement méconnue. C’est en visitant Hattusa que j’ai découvert les Hittites. Et je me suis régalée ensuite à approfondir mes connaissances pour préparer cet article. J’espère que je vous aurais donné l’envie à vous aussi de partir à la découverte de la civilisation Hittite!

Prochainement, je vous détaillerai ma visite du site archéologique de Hattusa et de ses proches voisins Yazilikaya et Alaca Höyük. Vous pouvez également vous rendre dans l’extraordinaire musée des civilisation d’Ankara, et le musée archéologique d’Istanbul.