Les histoires drôles de Nasreddin Hodja… Après mon premier article sur Nasreddin Hodja et ma sélection de 5 premières historiettes, voici donc 12 nouvelles histoires de Nasreddin Hodja. Je me suis basée sur le recueil « Sublimes paroles et idioties de Nasr Eddin Hodja » aux éditions Libretto, présentées par Jean-Louis Maunoury.

J’ai voulu sélectionner celles qui reflètent le mieux l’humour loufoque de celui qui était connu de manière honorifique comme « l’idiot complet ». Personnage incontournable de la culture turque, il aborde les thèmes du quotidien dans le monde musulman du 13ème siècle, sans tabou. Parfois coquines, souvent « pipi-caca », mais au bout du compte toujours porteuses d’une bonne leçon.

#1 – La corde à linge

  • « Nasr Eddin, peux-tu me prêter ta corde à linge? vient lui demander un de ses voisin. Ma femme va faire une grande lessive.
  • Tu n’as vraiment pas de chance, répond le Hodja sans même lui jeter un regard. Je viens juste de m’en servir pour mettre à sécher de la farine.
  • Par Allah! Tu prétends faire sécher de la farine sur une corde à linge? Et tu veux que je te croie?
  • Tu n’es qu’un ignorant. Tu ne sais pas encore que lorsqu’on n’a pas envie de prêter sa corde à linge, on est capable de faire sécher n’importe quoi dessus? »

#2 – Le soleil et la lune

« On aimait bien embarrasser Nasr Eddin avec des questions oiseuses ou carrément impossibles à trancher. Un jour on lui demande :

  • Nasr Eddin, toi qui es versé dans les sciences et les mystères, dis-nous quel est le plus utile, du soleil ou de la lune.
  • La lune, sans aucun doute. Elle éclaire quand il fait nuit, alors que ce stupide soleil luit quand il fait jour. »

#3 – Le miroir

« En sortant de chez lui, un matin, Nasr Eddin voit à terre les morceaux d’un miroir brisé. Il en ramasse un et s’y regarde. Il se trouve un visage qui ne lui plaît pas, des traits que l’âge a alourdis, un teint plutôt rougeaud, et ce nez en rostre, hérité du père Abdullah Effendi.

Dans sa fureur, il envoie promener aussi loin qu’il peut le fragment de verre:

  • hors de ma vue! s’emporte t-il. Je comprends, à présent qu’on t’ait jeté. »

#4 – Une faute grave

« Une femme dévote vient trouver Nasr Eddin en cachette et lui dit:

  • J’ai un cas embarrassant à te soumettre, mais j’ai confiance dans ta connaissance de la religion.
  • De quoi s’agit-il, ma tante?

La femme, rouge comme un poivron, semble gênée.

  • Parle sans crainte, l’encourage Nasr Eddin.
  • L’autre jour, pendant la prière, je n’ai pas pu me retenir, j’ai lâché un pet. Est-ce une faute grave?

En guise de réponse, Nasr Eddin lâche un pet d’importance et il demande à la dévote :

  • Est-ce comme cela?
  • Hélas, répond la femme, je crois bien que c’était d’un point plus fort.

Nasr Eddin lâche un autre pet, d’un point plus fort.

  • Comme cela, alors?
  • Ah, Nasr Eddin, j’ai honte. Je crois bien qu’il était encore plus fort.

Nasr Eddin lâche alors un pet de première grandeur.

  • Voilà, dit la femme, comme ça.
  • Fille de chien! s’écrie Nasr Eddin en colère, oui, tu as commis une très grave faute : regarde dans quel état tu as mis ma robe! »

#5 – Heureux événements

« La femme de Nasr Eddin est prise en pleine nuit des douleurs de l’enfantement. La sage-femme arrive bien vite pour l’assister. Nasr Eddin voudrait s’enfuir mais la sage-femme l’arrête :

  • Ne veux-tu donc pas être là pour la naissance de ton enfant? Tiens, prends cette bougie, tu vas nous éclairer.

Et Nasr Eddin, bon gré mal gré, voit venir au monde son premier-né. Très impressionné, il s’éloigne de nouveau quand la sage-femme le rappelle :

  • Mais reste donc là, Nasr Eddin! Je crois bien qu’il y a en a un deuxième.

Nasr Eddin revient donc et il voit venir au monde le jumeau du premier. Il souffle alors la bougie.

  • Rallume, Nasr Eddin, on n’y voit plus rien.
  • Non, non, il vaut mieux éteindre. Ne vois-tu pas que la lumière les attire? »

#6 – Une imitation parfaite

Nasr Eddin ne brillait pas particulièrement au jeu d’échecs mais il aimait bien y jouer de temps en temps.

Une fois, pendant une partie, son partenaire habituel se sent pris de l’envie de lâcher un vent. Au bout d’un moment, il ne peut se contenir davantage mais, pour en couvrir le bruit, il produit en même temps une sorte de grincement en frottant son talon sur le plancher.

Nasr Eddin continue de réfléchir à son coup sans broncher. Mais quelques instants après son partenaire se retrouve dans le même embarras et doit recourir de nouveau à son stratagème.

Au bout du cinquième ou sixième grincement, Nasr Eddin lui fait remarquer d’un ton humble :

  • Éclaire-moi l’ami. Il y a un moment que j’étudie ton jeu et je pense avoir compris comment tu imites les pets avec ton talon. Mais explique-moi donc comment tu fais pour imiter l’odeur? »

#7 – La rumeur publique

« Nasr Eddin est allé faire du bois en forêt avec son âne. La journée est chaude, et, décidant de s’octroyer quelques instants de répit, il s’allonge à l’ombre sous un arbre.

Quand il se réveille, le soleil est déjà très bas, et le Hodja ne met pas longtemps à s’apercevoir de la disparition de son âne. Il se lance à sa recherche, mais il a beau arpenter le bois, siffler, pas de trace de l’animal. De guerre lasse, mais très inquiet, il se résout à regagner le village et frappe à la porte de son voisin :

  • Hola Mustafa! As-tu bougé de chez toi depuis ce matin?
  • J’ai fait un tour au marché comme d’habitude, puis j’ai discuté au tchaïhané avec les amis et je viens de rentrer.
  • Dans ce cas, réponds-moi franchement : as-tu entendu dire que j’avais perdu mon âne?
  • Non, je n’ai rien entendu de tel.
  • Tu es bien sûr que personne ne fait courir le bruit que Nasr Eddin n’a plus d’âne?
  • Mais non, je t’assure…
  • Par Allah! Je suis soulagé, tu sais, car j’ai vraiment eu peur de l’avoir perdu pour de bon. »

#8 – Contrôle d’identité

« C’est le marché aux ânes : il y a une grande affluence de vendeurs et d’acheteurs. Deux hommes de la grande ville passent justement par là, et l’un d’eux, du haut de son cheval, s’exclame, d’une voix forte et méprisante :

  • Regarde donc comme c’est drôle, ici : il n’y a que des ânes et des paysans!

Nasr Eddin qui se trouve tout auprès, lui demande :

  • Tu es sans doute un paysan toi-même?
  • Moi? Certes non! répond-il, vexé.
  • Bon, alors je vois qui tu es. »

#9 – Contrôle d’identité 2

« De passage à Sivri-Hissar, Nasr Eddin entre au kahvehane. L’établissement, à cette heure de la soirée, est très fréquenté, et notre homme annonce d’une voix forte :

  • Je suis Nasr Eddin!

Si la réputation du Hodja n’est plus à faire, personne dans cette assemblée ne l’a jamais vu en chair et en os.

  • Comment peux-tu le prouver? lui demande un client. Après tout, tu n’es peut-être qu’un imposteur.

A ces mots, Nasr Eddin sort un miroir de sa poche et, après y avoir jeté un coup d’œil, constate :

  • Si, si, rassurez-vous, c’est bien moi!

Et tous alors de s’écrier :

  • Ça, c’est bien lui! »

#10 – Bon voisinage

« En pleine nuit, on frappe violemment à la porte du Hodja. Il se lève et va ouvrir. C’est sa voisine, hors d’haleine :

  • Nasr Eddin, viens vite, je t’en supplie! Deux hommes sont entrés chez nous et ils sont en train de battre mon mari…
  • Ecoute, voisine, je crois que deux hommes suffisent largement pour rosser ton gringalet de mari. Je ne suis pas sûr qu’il aient besoin de mon aide. »

#11 – Il faut préciser où

« Nasr Eddin se promène avec un ami le long de la rivière lorsque celui-ci s’écrie :

  • Oh, les poissons, Nasr Eddin! Regarde, il y a un banc de poissons qui passe!

Le Hodja s’arrête aussitôt, regarde autour de lui, scrute le ciel…

  • Je ne vois rien, fait-il.
  • Les poissons, Nasr Eddin! s’impatiente l’autre. Là, dans l’eau!
  • Ah, dans l’eau! Il fallait le dire tout de suite au lieu de me laisser chercher pendant des heures! »

#12 – Erreur sur les personnes

« Nasr Eddin aborde un jour un passant dans la rue :

  • Excuse-moi, l’ami, mais j’ai l’impression que nous nous sommes déjà rencontrés à Bagdad.
  • Impossible! objecte aussitôt le quidam.
  • Pourquoi est-ce donc impossible? s’étonne le Hodja.
  • Pour la bonne raison que jamais de ma vie je n’ai été à Bagdad!
  • Au fait, moi non plus, conclut Nasr Eddin en s’éloignant. J’ai dû confondre avec deux autres. »

Voici que s’achève mon deuxième article sur le fameux Nasreddin Hodja. Ce personnage à la fois réel et imaginaire à laissé derrière lui une liste sans fin d’histoires drôles, sarcastiques, grinçantes, voire parfois choquantes. Je n’en ai retenues que ces quelques-unes. Mais à vous d’en découvrir d’autres… à commencer par les 5 que je vous rapporte dans mon 1er article sur Nasreddin Hodja et ses bons mots!