Le Mont Nemrut est une visite incontournable pour tout voyageur qui s’aventure dans l’Est de la Turquie. Et ils sont peu nombreux à pousser si loin en Anatolie Orientale, ce qui rend la découverte encore plus magique. Connu pour ses têtes de statues géantes, le Mont Nemrut est un sanctuaire dédié au dernier grand roi de Commagène, Antiochos Ier. L’occasion d’un petit saut dans l’Histoire décidemment très riche de la Turquie…
Nous avons visité le Mont Nemrut en novembre 2021, lors d’un road-trip d’une semaine à la frontière turco-syrienne de la Turquie.
L’histoire du Royaume de Commagène
Quand on dit que l’on visite le « Mont Nemrut », il faut entendre le sanctuaire du roi Antiochos Ier qui se situe au sommet du Mont Nemrut.
Si la construction de ce tumulus est datée du 1er siècle avant JC, l’histoire de son royaume commence au début du 1er millénaire avant notre ère. Nous ne sommes pas tous experts dans l’histoire des royaumes antiques, alors un petit rappel s’impose pour recontextualiser.
De région à royaume de Commagène… (Ier millénaire av.JC)
La Commagène est une région dont le nom apparaît au début du 1er millénaire avant notre ère. A cette époque l’empire Hittite s’efface pour laisser place à des royaumes néo-hittites, comme les Ourartéens dans cette partie orientale de l’Anatolie. Plus à l’Est, le grand rival, l’empire Assyriens ne tarde pas à s’effondrer lui aussi.
Progressivement, c’est la culture grecque qui va infuser depuis l’ouest, tandis que les Perses dominent à l’Est, jusqu’à la victoire d’Alexandre le Grand sur Darius III.
La région de Commagène se retrouve ainsi à l’intersection des deux civilisations, héritant de cette double culture grecque et perse.
Après la mort d’Alexandre le Grand en 323 av JC, ses généraux se partagent l’empire et fondent divers royaumes, dont celui des Séleucides (vous vous souvenez de ma visite d’Antioche-sur-Oronte, sa capitale aujourd’hui appelée Antakya). La Commagène n’est alors qu’une province du royaume Séleucide.
Toutefois, en 162 av JC son gouverneur Ptolémée proclame l’indépendance et fonde ce nouveau petit royaume de Commagène.
Le règne de Mithridate Ier de Commagène (de 100 à 70 av. JC)
Du règne de Mithridate, on ne retient qu’une chose : son mariage avec une princesse Séleucide, Laodicée VII. Cette union confère à sa dynastie une ascendance avec l’empire d’Alexandre, lui-même étant un descendant de Darius (ce qui fait toujours bien sur un Curriculum Vitae!).
On reparlera plus bas de Mithridate Ier, lors de la visite des ruines d’Arsameia, la capitale de la Commagène…
Le règne d’Antiochos Ier de Commagène (de 69 à 40 av.JC)
Antiochos est donc le fils et successeur de Mithridate Ier, qui règne une trentaine d’années sur ce royaume de Commagène. Au même temps, l’empire Romain se déploie sur les vestiges de l’empire d’Alexandre.
Un poil mégalo, Antiochos s’attribue le qualificatif de Theos, autrement dit « Dieu ». Pas étonnant dès lors qu’il se fasse ériger le plus impressionnant des mausolées de toute l’Anatolie orientale : un tumulus visible à 100km à la ronde!
Après sa mort, les souverains Antiochos II, III et IV lui succèdent sans grande gloire. Le royaume de Commagène a perdu toute sa superbe… et disparait, englouti dans le tout puissant empire romain.
Le sanctuaire du Roi Antiochos Ier de Commagène
Antiochos Ier, comme tout bon souverain de l’Antiquité, est donc très soucieux de se faire ériger un sanctuaire à la mesure de sa grandeur. Et qui au passage lui attire la sympathie des Dieux. Il choisit comme site, le plus haut sommet visible depuis Arsameia, la capitale du royaume de Commagène. C’est ainsi à plus de 2200m d’altitude dans le massif de l’Anti-Taurus qu’il envoie ses équipes de bâtisseurs lui construire un sanctuaire sous forme de tumulus.
C’est quoi un tumulus?
Pour faire simple, un tumulus est une construction funéraire qui vient recouvrir une sépulture, par des pierres et/ou de la terre. En l’occurrence, le tumulus d’Antiochos 1er n’est recouvert « que » de milliers d’éclats de pierres.
Ses dimensions? 150m de diamètre et 50m de haut. Pas mal, sachant qu’il est aussi cerné de 3 terrasses rituelles, d’un chemin processionnel et de statues de Dieux géantes!
Si vous n’avez jamais eu la chance de visiter un tumulus, sachez qu’en Turquie, à proximité d’Ankara il est aussi possible de visiter le tumulus du Roi Midas de Phrygie! Daté du 7ème siècle av. JC, donc quelques 600 ans avant notre Antiochos, il est deux fois plus large et il est possible de pénétrer à l’intérieur.
Ce qui n’est pas le cas de celui d’Antiochos au Mont Nemrut, qui demeure inviolé. Et pour cause, les archéologues n’ont toujours pas réussi à identifier l’entrée de la chambre funéraire. Il reste donc de beaux mystères à découvrir au Mont Nemrut…
Pour info, le Mont Nemrut est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1987.
Plus qu’un tumulus, un hierothesion!
Vous n’aviez sans doutes jamais entendu parler de hierothesion avant de vous intéresser à la visite du Mont Nemrut. Pas étonnant, ce terme qui nous vient du grec ancien, n’est utilisé que dans le royaume de Commagène!
Un hierothesion est à la fois un mausolée et un lieu de culte, destiné aussi bien à honorer les dieux que le défunt lui-même. Il est réservé aux héros divinisés! On en découvrira deux autres dans notre voyage au royaume de Commagène : Le hierothesion de Mithridate Ier à Arsameia et le hierothesion de Karakus destiné aux femmes de Mithridate II.
Mais bien-sûr, le plus impressionnant – et de loin – reste le hierothesion d’Antiochus Ier, au sommet du Mont Nemrut!
Que voit-on au Mont Nemrut?
Concrètement, le sanctuaire/tumulus/hierothesion d’Antiochos Ier s’organise selon 3 terrasses réparties autour du tumulus et reliées par un chemin de procession.
Ce chemin processionnel est celui que le visiteur utilise aujourd’hui.
La terrasse nord n’existe malheureusement plus. En revanche les terrasses Est ou Ouest sont toujours là, avec leurs immenses statues de pierre!
Terrasse Est du Mont Nemrut
La terrasse Est est celle qui présente les statues les mieux conservées. Notamment les « corps » assis sur des trônes de 4 dieux et du roi, ainsi que les deux aigles et lions à chaque extrémité.
Les têtes, en revanche, sont tombées – probablement du fait de tremblements de terre. Elles ont été redressées par les archéologues après leur découverte et sont bien alignées devants leurs « propriétaires ».
Avant décapitation, ces statues de calcaire devaient mesurer 8 à 9 mètres de haut. A elles-seules, les têtes atteignent entre 2 mètres 50 et 3 mètres. Des dimensions inégalées dans la culture grecque, ce qui en fait un monument unique.
Face aux statues est conservée une terrasse et un autel qui servait au sacrifice d’animaux pour le culte.
Des orthostates (reliefs gravés sur des pierres plates dressées) sont disposés sur les côtés.
Terrasse Ouest du Mont Nemrut
Sur la terrasse ouest, la configuration initiale était identique à la terrasse est, mais les corps sont bien plus dégradés et les têtes tombées elles-aussi au sol, sont restées là où elles avaient roulé. Ce côté plus fouillis lui donne un charme tout particulier.
Les orthostates de la terrasse ouest sont plus intéressants. On y retrouve un lion entouré d’étoiles et d’un croissant de lune. Il pourrait s’agir de l’une des plus anciennes représentations d’horoscope!
D’autres orthostates représentent les ancêtres du roi, réels ou supposés. Antiochos se prétend ainsi descendre du roi Perse Darius par son père, et d’Alexandre le Grand par sa mère. Rien que ça!
Antiochos Ier est également représenté sur des orthostates serrant la main des dieux Héraclès et Apollon. Ce type de représentation est appelé dexiosis, dont le nom grec signifie dernière poignée de main. Elle est assez fréquente dans l’empire romain à cette époque mais représente en général le défunt et sa famille. En Commagène, ce sont les Dieux qui serrent la main des rois défunts. Après tout, c’est un peu la famille aussi…
Qui sont les personnages représentés par les statues du Mont Nemrut ?
Sur chaque terrasse, les statues s’alignent autour de Zeus, dans un ordre différent. Si sur la terrasse ouest, les têtes au sol sont disposées ici et là, sur la terrasse Est, elles ont été placées en face de leur corps (depuis 2002).
On retrouve ainsi sur la terrasse Est, de gauche à droite, entre une paire de lions et aigles, animaux protecteurs sur la terre et dans le ciel :
- Le Roi Antiochos Ier.
- Tyché (ou Commagène) : la déesse de l’abondance et de la fertilité. Elle est coiffée d’une couronne de fruits dans un style grec, symbole de l’abondance dont jouit à cette époque le royaume (aujourd’hui très aride). Dans son dos se trouve l’inscription « mon pays fertile la Commagène« . Lors de la découverte du site par les archéologues, sa tête reposait encore sur son buste. Ce n’est qu’en 1963 qu’un éclair l’a faite chuter.
- Zeus (ou Oromasdès) : le dieu des dieux, coiffé d’un bonnet conique orné d’une tiare de style Perse, et dont la barbe est aujourd’hui brisée.
- Apollon (Mithra, Helio, ou Hermès) : fils de Zeus, à l’aspect adolescent dont le bonnet pointu est orné de disques solaires.
- Héraclès (Artagnès, Arès), le demi-dieu de la force. Popularisé par Disney sous le nom d’Hercule, sa version romaine.
Sur la terrasse Ouest, les corps disposés, de la gauche vers la droite sont ceux de : Apollon, Tyché, Zeus, Antiochos, Héraclès. Reste plus qu’à retrouver quelle tête appartient à quel corps!
Quel tarif et conditions d’accès pour visiter le Mont Nemrut?
Le Mont Nemrut est un parc national et l’accès au site des statues de pierre est payant. Vous devrez vous arrêter à l’une des petites stations pour prendre votre ticket (l’une côté Malatya, l’autre côté Gaziantep/Sanliurfa). Le prix du billet est de 30TL en 2021 (gratuit avec la MüzeKart+ ou le MuseumPass Turquie).
Depuis cette station, vous pourrez reprendre votre véhicule pour monter jusqu’au pied du tumulus, ou prendre une navette gratuite en pleine saison.
Toutefois, il faut savoir que le site n’est pas adapté pour les personnes à mobilité réduite. Arrivé au tumulus, il reste une montée à pied sur l’antique chemin de procession d’environ un quart d’heure (si vous êtes en forme!). Encore une fois, nous sommes à 2200m d’altitude et l’oxygène se faisant plus rare, l’effort n’est pas anodin. Prévoyez donc une ascension tranquille. Même les enfants seront vite essoufflés!
Pensez aussi à vous couvrir! Pour vous donner une idée, fin octobre nous avions une écharpe et une polaire…
A quel moment visiter le Mont Nemrut?
Le site du Mont Nemrut est photogénique! Ce n’est pas un scoop, il n’y a qu’à voir les photos 😉 Mais selon l’heure de la journée, la lumière du soleil offrira des ambiances différentes.
Le soleil se levant à l’Est, c’est au petit matin que les statues de la terrasse Est seront les plus spectaculaires. A l’inverse, en fin d’après-midi, ce seront celles de la terrasse ouest. L’idéal est donc de pouvoir passer une nuit à proximité pour pouvoir visiter le site au crépuscule et à l’aube (en tous cas pour les courageux qui seront motivés pour l’ascension!).
Ceci, c’est la théorie, car dans la pratique, il ne faut pas oublier que vous êtes à 2200 m d’altitude. Et que donc, vous pouvez vous retrouver dans les nuages… Même en mi-saison, il n’est pas rare que la brume s’accroche au sommet. Dans ce cas, pas de belle lumière ocre sur les statues de calcaire.
Mais en hiver, sous la neige, les statues du Mont Nemrut peuvent aussi constituer un super décor!
Si vous souhaitez éviter les flots de touristes, en journée c’est beaucoup plus calme. Les mini-bus affrétés par les agences arrivent à la queue-leu-leu au petit matin et en fin de journée!
Où loger pour visiter le Mont Nemrut?
Il faut le dire, le Mont Nemrut n’est pas très bien doté en installations hôtelières. Et ce n’est peut-être pas plus mal car le site, classé en Parc National, s’en trouve préservé.
On y vient donc le plus souvent en excursion depuis Malatya, Gaziantep ou Sanliurfa.
Ou alors, on loge dans une petite pension à environ un quart d’heure plus bas dans la montagne. Même dans ce cas, sachez que l’offre reste limitée (un peu plus de choix en été). Le standing est vraiment basique, voire complètement roots (vous pouvez prévoir votre sac de couchage et vous dispenser de prendre une douche …).
Globalement vous trouverez ces logements sur Karadut ou sur Eski Katha. Cette dernière a l’avantage d’être proche d’autres sites à visiter, notamment les vestiges du royaume de Commagène.
Que voir autour du Mont Nemrut?
Si vous êtes venus jusqu’au Mont Nemrut, profitez-en pour visiter quelques sites à proximité, autour de Kâtha.
Si vous descendez du Mont Nemrut, un petit chemin vous indique la direction de Arsameia, l’ancienne capitale de Commagène. Comptez un quart d’heure sur une route très sinueuse mais avec un superbe panorama.
Visite d’Arsameia, capitale de Commagène
Le site antique d’Arsameia se visite en une demi-heure. Les visiteurs sont rares et l’on profite de la quiétude du lieu. Un guichet est en construction mais lors de notre visite, l’entrée était encore libre.
Un sentier grimpe dans la colline jusqu’à un premier point d’intérêt : une dexiosis – statue du roi Mithridate serrant la main d’un Dieu (non déterminé).
Plus haut, un tunnel s’enfonce dans la roche sur quelques mètres jusqu’à un « garde-manger ».
Mais le clou du spectacle est encore un peu plus haut avec une autre scène de dexiosis. La statue du roi Mithridate Ier serrant la main du Dieu Héraclès à l’entrée de son tombeau/hiérothésion. Rappelons que Mithridate est le papa d’Antiochos, et que l’un comme l’autre partageait le goût de l’originalité pour leurs tombeaux.
Ce tombeau se trouve tout au fond d’un tunnel dont les escaliers descendent, descendent, descendent… a priori sur plus de 150m! Il n’est pas vraiment possible d’atteindre le fond car tout est dans le noir, et les marches sont glissantes et humides. (carrément dangereux! Nous avons vite rebroussé chemin).
La forteresse Mamelouk d’Eski Katha
Presque en face d’Arsameia, un autre monument impressionne. Il s’agit d’une forteresse construire bien plus tard, au XIIIème siècle, par les Mamelouks.
Lors de notre venue le site n’était pas ouvert. Mais rien que d’extérieur cela vaut le coup d’oeil.
Le Pont de Septime Severe
Encore un quart d’heure de route vers Kâtha, pour atteindre le Pont de Septime Severe.
Après le déclin des Rois de Commagène, l’heure est venue pour les empereurs romains. Le fameux Septime Severe est passé par là et nous a laissé un très joli pont (daté du IIème siècle de notre ère) pour enjamber la rivière Cendere. (Les geek y verrons peut-être une ressemblance avec un pont de l’univers de Zelda. Je ne sais pas si les créateurs s’en sont inspiré mais je me méfie de croiser un bokoblin…)
Plus sérieusement, la particularité de ce pont de pierre est de posséder 2 colonnes corinthiennes à chaque extrémité. Aujourd’hui 3 sont encore debout. Jadis elles étaient surmontées de 4 statues représentant Septime Severe, sa femme, et ses 2 fils. Les statues ne sont plus visibles malheureusement. Toutefois le lieu est très charmant.
La visite est gratuite.
Visite du tumulus de Karakuş
Peu après, à 10km toujours en direction de Kâtha, on arrive sur un nouveau tumulus. Il s’agit d’un site dédié aux « femmes » de Mithridate II : a priori sa mère, sa fille et sa sœur. L’histoire ne dit pas ce qu’il a fait de sa femme!
Il n’y a pas grand chose à voir sur place hormis un tumulus de pierre daté de 36 avJC et quelques colonnes dont l’une est toujours surmontée d’un aigle (Karakuş en turc signifie oiseau noir ou merle, mais pas aigle. Bizarre… ).
D’autres colonnes existaient initialement qui ont été réutilisées par les romains pour la construction du Pont de Septime Severe…
Voici donc une description de ce que vous découvrirez lors de votre visite du Mont Nemrut. Une visite qui mérite bien de s’étendre à d’autres belles villes et sites archéologiques de l’Est de la Turquie. Vous retrouverez prochainement sur mon blog des articles sur Gaziantep, Şanliurfa et Gökletipe, et encore bien d’autres …
Si la Turquie orientale vous tente, commencez donc par Antakya. L’article est en ligne 😉
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